L’hommage de Jacques Cheinisse à son ami Gilbert Harivel qu’il considérait comme un frère

Voilà l’image de mon ami, Gilbert Harivel, que je veux garder de lui: l’Homme qu’on voit sur cette image est souriant, tranquille, détendu, heureux, les yeux pleins  de lumières; il peut être fier de son parcours! C’est l’un des principaux artisans de la gloire d’Alpine, de ses championnats gagnés, de ses victoires: c’est le Patron autoproclamé de la célèbre équipe de mécaniciens d’Alpine, la fine fleur de la maison, ceux que certains ont affectueusement nommé les Grognards !

Pour construire la légende d’Alpine, il y avait son emblématique Patron, Jean Rédélé, qui décidait des campagnes à entreprendre, des sites à conquérir, puis les Mousquetaires-pilotes qui guerroyaient et enfin les Grognards qui forgeaient les armes, ces drôles de petites machines bleues qu’on appelait « Berlinettes », les fourbissaient, les choyaient, les pansaient pendant le combat, les soignaient et au besoin, les portaient jusqu’à la ligne d’arrivée. Et le Chef respecté et même vénéré de ces redoutables Grognards s’appelait Gilbert Harivel ! Il avait été leur sergent-recruteur, il les repérait dans les garages alentours, y compris dans le propre garage Renault de la famille à l’origine de la marque, les débauchait, les faisait embaucher par son Chef, Etienne Desjardins, leur expliquait entre quatre-z-yeux les règles du jeu, leur désignait un Ancien pour mentor en mini équipe,  puis les envoyait au feu, en rallye, avec leur belle caisse à outils rouge toute neuve…Au retour, après 4 ou 5 jours et nuits de fatigue, de lutte contre le sommeil, dans la neige ou, au contraire sous une chaleur torride au volant de la R16 surchargée ou du fourgon SB2 sur la route ou même le sentier muletier pour rejoindre leur rendez-vous avec les Berlinettes,  au bout de tous ces efforts, avait lieu dans le bureau de Gilbert le compte rendu par le mentor des états de service du Nouveau et enfin, le verdict du Chef: si jugé douteux, c’était l’affectation en observation à la fabrication dite série, si satisfaisant, c’était l’affectation directe au service courses. Et en route pour ce métier improbable et combien excitant de mécanicien de courses, tout en fine observation, en délicatesse, un peu comme un ostéopathe de la mécanique.

Gilbert, c’était le Père la Rigueur: rien n’échappait à son regard ou même à son flair. Il savait aussi bien déceler la faute ou l’erreur d’un mécanicien que le plus infime détail sous le capot d’une auto, un écrou mal serré, un flexible d’eau ou d’huile qui suintait, annonciateur d’une fuite importante, un fil électrique mal fixé, futur court-circuit… Mais autant la tension était forte avant la bataille, autant après la course, victoire ou pas, la détente était démonstrative, généreuse, joyeuse! Il était même avec ses hommes aux avant-postes de la « déconnade »: n’avait-il pas adopté le rite du Petit Moulin pour l’initiation des prétendants au cercle Alpine rapproché. Il s’agissait d’un anodin petit moulin manuel dont les aubes étaient mues par le souffle de l’opérateur; plus le souffle était puissant plus les aubes tournaient vite sous les bruyants encouragements des spectateurs, mais à un certain régime se déclenchait un jet de suie noire sur le visage du prétendant, diversement apprécié…

Ses hommes avaient pour habitude d’inventer une dénomination bien à eux pour désigner les gens qui gravitaient  dans et autour d’Alpine: Patron, encadrement, ingénieurs, pilotes et leurs semblables mécaniciens, tout le monde y avait droit et ça allait d’un respectueux « Monsieur Jean » à…la Chignole, le Blaireau, Titi, le Grand, la Panique, le Gamin etc…et pour leur chef direct, ce fut « le Juteux » par dérision envers un certain pseudo-autoritarisme et par affection en reconnaissance de ses états de service militaire en Algérie que certains d’entre eux avaient d’ailleurs partagé. 10 ans après, cette dramatique période était encore très tenace dans les esprits, au point que quelques autres Anciens l’appelaient douteusement, entre eux, le Fellouze avec une motivation que je n‘ai jamais cherché à approfondir. J’avais souvent admiré en secret l’humour et la perspicacité de ces dénominations fantaisistes mais je me désolidarisais complètement de celle qui avait échu à Gilbert à cause du mauvais souvenir, très personnel, que m’avaient laissé les adjudants en opération autour de moi pendant la Pacification que j’avais vécue moi aussi en Algérie ! Dans sa phase très active et brillante de la quête du Championnat du Monde, l’équipe des Grognards s’est développée, beaucoup de « jeunes » sont rentrés et Gilbert a beaucoup veillé et parfaitement réussi leur harmonieuse intégration et les souvenirs militaires, à force de ne plus être partagés se sont estompés…mais le Juteux est resté, incontesté, aux commandes jusqu’à la dislocation.

Après nos retraites respectives nous avons assez souvent eu l’occasion de nous revoir et d’échanger sur beaucoup de sujets, sans amertume et toujours avec de sa part cette capacité d’analyse très pointue; c’était toujours un réel plaisir de parler avec ce grand sage! Mais, il y a un an environ, quand cette maladie l’a touché, il m’a dit gravement:

« Tu sais, cette fois, je suis mal pris. La « classe 34 » a beau être solide, je ne m’en sortirai  pas! ». Et, tristement, je savais….

 

Jacques CHEINISSE          le 17/04/2021

 

 

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Commentaires (2)

  1. Gill GERYLGill GERYL

    Un très bel hommage à ton ami Gilbert, Jacques, comme tu en as le secret !
    Pour un horsain comme moi, n’ayant pas vécu l’épopée Alpine, gagné par le virus au contact d’André Désaubry, ton récit, tes anecdotes témoignent de l’empreinte laissée par cet homme dans l’aventure humaine exceptionnelle que vous avez vécue.
    J’ai été vite conquis par sa personnalité et sa sagesse dont tu parles et par ce beau sourire qu’on voit sur cette magnifique photo, sa convivialité et son amitié qu’il exprimait à nos contacts par quelques mots toujours chaleureux.
    Mes condoléances et mes pensées pour ses proches, sa famille, pour toi Jacques et pour vous tous les Anciens d’Alpine qui avez partagé tant d’années de sa vie.

  2. JOHN BREINLENJOHN BREINLEN

    Très beau témoignage détaillé de Jacques CHEINISSE. On apprend des choses sous forme d’anecdotes qui reflète bien la personnalité de Gilbert HARIVEL. On comprend mieux le sens de certains mots. J’ai pris du plaisir à lire cette mini biographie, merci Jacques. (John BREINLEN – Hautes Vosges).

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