Un pionnier de l’aventure Alpine disparait : Richard BOULEAU nous a quittés

Alors que la plupart des Anciens d’Alpine étaient rassemblés à Martin-Eglise en ce samedi 27 avril pour célébrer le 40e anniversaire de la création du BEREX, une nouvelle a circulé dans sa froideur implacable : Richard BOULEAU venait de décéder dans cette région varoise qu’il affectionnait tant et où il était installé depuis son départ à la retraite. Agé de 83 ans, il avait été un acteur central de l’aventure Alpine.


Jean REDELE l’avait embauché fin 62 pour réaliser son premier grand défi sportif : faire courir Alpine au Mans ! Et en juin suivant, trois prototypes M63 prenaient le départ des 24h… Conscient que son potentiel technique allait être indispensable à la réussite du projet, le patron d’Alpine était également soucieux de préserver le fragile équilibre budgétaire de sa jeune entreprise et il comptait pouvoir lui confier une mission complémentaire, celle consistant à assurer les relations techniques avec les entreprises fabriquant la Berlinette sous licence Alpine à l’étranger. Richard n’eut évidemment jamais la disponibilité suffisante pour prendre en charge cette seconde activité et le poste était encore vacant le jour où j’ai frappé à la porte… Richard ne manquait d’ailleurs jamais une occasion de me rappeler, sur le ton de la plaisanterie, que si j’étais entré chez Alpine, c’était grâce à lui !


La première séquence de son parcours a été essentiellement consacrée à l’étude mécanique des prototypes et des monoplaces Alpine ; elle a été particulièrement féconde et c’est sans doute son complice d’alors, Mauro BIANCHI, qui est le mieux placé pour l’évoquer, tant sous l’angle technique, qu’au plan humain. Vous trouverez son témoignage ci-après.



L’autre création Alpine qui porte la griffe de Richard BOULEAU, c’est bien sûr l’A310. Ayant cédé les commandes du BE compétition à son adjoint André de CORTANZE, il s’est entièrement consacré à l’étude de la GT française rêvée par Jean REDELE. Celui-ci ambitionnait de rivaliser avec la Porsche 911 (habitabilité similaire, même architecture avec le moteur en porte-à-faux arrière, empattement identique de 2,27 m) mais malheureusement sans disposer d’une motorisation équivalente (un 4 cylindres Renault développant 125 ch pour l’Alpine alors que les versions hautes du flat 6 Porsche affichaient déjà 180 ch).


Notre brillant concepteur de voitures de courses dut alors faire l’apprentissage d’un autre métier en découvrant un univers où le chrono effectué sur circuit par un pilote de course n’est pas l’unique critère d’évaluation. Il fallait aussi se soucier du plaisir qu’éprouverait un conducteur lambda au volant de l’auto, de sa sécurité, de son confort, de la fiabilité de la mécanique, de sa maintenance, etc. Tout cela supposait du temps et des moyens matériels et humains dont personne n’avait réellement conscience chez Alpine ! En dépit de ce handicap chronique, Richard s’est acquitté de la tâche avec succès, ainsi que des autres études qu’il a menées ultérieurement (remotorisation de l’A310 avec le moteur V6 Peugeot-Renault-Volvo, adaptation d’une suspension arrière à doubles triangles sur la Berlinette notamment).


Entre-temps Renault avait pris le contrôle d’Alpine et les nouveaux décideurs ont estimé préférable de confier la fonction de patron du BE à un ingénieur issu de la « grande maison ». Notre ami Richard a donc été réorienté vers le poste de responsable des ateliers d’études et de réalisation des prototypes. Il a évidemment très mal vécu cette situation, avec la frustration d’une mise à l’écart de l’activité qui le passionnait et le sentiment d’être déconsidéré. Mais une fois passé ce cap difficile, il a heureusement pu saisir une opportunité qui lui a permis de rebondir.


L’activité prototype du BE central de Renault étant fréquemment en surcharge, la Direction des Etudes eut la bonne idée de confier la réalisation de certains « mulets » au BEREX. Ce fut une aubaine pour Richard ! Implanter les composants prototypes d’un véhicule en cours de développement dans un modèle de la concurrence afin de pouvoir les valider en toute discrétion était en plein dans son domaine de compétence. Il s’y est investi pleinement, exploitant sa grande créativité qui n’attendait que d’être sollicitée pour s’exprimer. Il a très vite retrouvé une saine motivation et s’est imposé comme un partenaire incontournable vis-à-vis de la maison mère.


On comprend son plaisir à occuper une telle fonction car Richard était avant tout passionné par la technique, doué d’un esprit hyper créatif et ouvert. Le commentaire transmis par André de CORTANZE à son égard est très révélateur de ces qualités : « J’ai trouvé en lui un professeur calme et créatif, doté d’un solide pragmatisme et toujours prêt à partager son savoir. Tout ce qu’il m’a appris, enseigné, de sa vision d’une voiture, fut elle de série ou de course, m’a suivi et dans toutes les voitures que j’ai faites après Alpine, il y a une part de son intelligence ».


Nous perdons un ami, un acteur majeur de l’épopée Alpine et tous ceux qui ont croisé sa route conservent en eux le souvenir de l’homme jovial et du bon vivant qu’il était.


Jean-Pierre LIMONDIN


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