Bernard Boyer, autodidacte et pragmatique…

Ce n’est pas en un jour qu’Alpine a accédé au statut de légende du sport automobile, ni grâce à un seul exploit, mais parmi les différents défis dans lesquels Jean Rédélé a joué son va-tout avec pour armes principales une audace insensée et un optimisme viscéral, sa décision de participer aux 24h du Mans en 1963 constitue sans aucun doute une étape décisive sur le chemin de la gloire qu’allait connaître plus tard la marque au A fléché.

Pour aborder ce challenge avec le maximum de chances, le jeune constructeur dieppois a eu la riche idée de constituer un trio de choc composé de Bernard Boyer, technicien de terrain bouillonnant d’idées, Richard Bouleau homme d’études chargé de la conception du châssis et Marcel Hubert responsable de la carrosserie et de l’aérodynamisme. Malgré les modestes moyens mis à leur disposition et le manque de temps, le prototype Alpine M63 qui naîtra de cette collaboration va aussitôt marquer les esprits grâce à des performances très largement supérieures à celles de la concurrence équipée de la même motorisation Renault Gordini de 1000 cm3.

Bernard Boyer nous a hélas quittés lundi, il aurait eu 84 ans le 25 mars. C’était un technicien hors pair, un « autodidacte pragmatique » tel qu’il aimait lui-même à se qualifier. Esprit rigoureux, son caractère intransigeant s’accommodait mal de la recherche permanente du compromis qui caractérisait le management de Jean Rédélé et sa collaboration avec Alpine ne dura finalement que 3 ans. Il quittera les modestes ateliers dieppois pour ceux plus huppés de Matra où il allait mener une brillantissime carrière qui lui permettra de conquérir le graal, tant en F1 qu’au Mans…

Qui mieux que Richard Bouleau pouvait rendre hommage à Bernard Boyer ? Ils furent complices dans cette belle séquence des débuts de l’aventure d’Alpine sur les circuits d’endurance et de vitesse ; nous vous proposons donc ici son texte d’adieu, empreint d’anecdotes, d’authenticité et d’amitié…

 

Trop tard !

« Allo Mauro ! Tu te souviens que nous avions envisagé de faire une visite à Bernard pour égayer un peu sa retraite ; eh bien c’est trop tard ! » – le domicile de Mauro Bianchi étant à un petit quart d’heure de Cogolin où j’ai installé ma retraite depuis plus de deux décennies.

Nous sommes donc au terme de l’amitié qui m’unissait à Bernard Boyer ; amitié qui avait pris naissance lors de mon retour d’un séjour d’une trentaine de mois en Algérie.
Je réintégrais le service Essais des cars Chausson qui était venu se fondre avec celui des camions Saviem. L’effectif Chausson s’était enrichi d’une nouvelle recrue : Bernard Boyer.
Notre âge voisin se chargea rapidement d’initier cette amitié au cours de laquelle on a démarré « l’Aventure Alpine ».

Bernard était déjà « branché compétition » moto et auto. Il s’était déjà distingué au volant d’une Monomil, petite monoplace équipée d’un moteur de Dyna-Panhard. En l’absence de tout sponsor, il décida de construire une monoplace de formule Junior. Il avait à sa disposition une petite équipe de carrossiers qui avaient créé la société Sirmac à La Garenne Bezons. Maintenant, il fallait concevoir la voiture et c’est ici que Bernard me demanda ma participation pour dessiner le châssis. « C’était parti ». La voiture fut réalisée et Bernard effectua une saison honnête face à des écuries déjà réputées.

Tous les lundis soir, le « petit » milieu automobile sportif se retrouvait au « Bar de l’Action », à deux pas de l’Etoile. Nous y dinions en compagnie de Jo schlesser, Amédée Gordini, Jean Lucas, José Rosinski et Gérard Crombac qui préparait la parution de « Sport Auto ». Gérard avait été interpellé par Jean Rédélé qui avait obtenu de la Régie Renault une mise à disposition de moteurs qu’elle confiait déjà à René Bonnet. Encore fallait-il lui présenter le projet d’une voiture. Le sachant en relation étroite avec des constructeurs anglais, Jean demanda à Gérard s’il était possible d’obtenir le prêt d’un dessinateur par Colin Chapman, pour étudier un châssis pour une voiture destinée aux « 24 Heures du Mans ». C’est ainsi que Len Terry lui dessina un châssis.

Jean Rédélé possédait déjà un effectif de mécaniciens et carrossiers à Dieppe. Il fallait maintenant trouver quelqu’un pour animer une équipe réalisant la voiture du Mans. C’est encore Gérard Crombac qui eut l’idée de proposer à Bernard de rencontrer Jean Rédélé. Lors de la rencontre, l’étude de Len Terry apparut comme incompatible avec le très particulier règlement des « 24 Heures ». Bernard ne se sentait pas capable de la corriger et précisa qu’il avait fait appel à son copain Richard Bouleau pour le dessin de sa Sirmac. « Alors, demandons- lui de venir en discuter ». Une nouvelle rencontre eut donc lieu avec moi. Ma participation intéressait Jean Rédélé, mais il n’avait pas prévu le budget pour deux personnes.

Dans la conversation, quand je lui dis que je revenais d’une mission de plusieurs mois au Mexique où j’avais collaboré avec la société Dina, il sursauta. Il était en négociation avec la Dina pour monter des Berlinettes sous licence. De mon côté, de retour du Mexique je m’ennuyais dans mon bureau de Saint-Cloud. La conclusion fut vite tirée car il vit en moi la possibilité d’assumer une assistance aux licenciés Alpine à l’étranger, tout en redessinant le châssis du Mans. C’est ainsi que Bernard et moi nous retrouvâmes à Dieppe dans ce début de Novembre 1962. La suite est connue. Je n’ai jamais eu le temps de m’occuper des licenciés ; Jean Pierre Limondin fut alors embauché pour cette tâche.

Résumer le profil de mon ami Bernard : une forte personnalité et une énergie peu commune.

Il m’est en tête le souvenir du Rallye de Saint-Cloud de 1962 où nous nous étions inscrits avec sa Dauphine Renault ordinaire, qui n’avait de commun avec la « 1093 » que la couleur. A l’arrivée, nous nous étions placés honorablement. Quelle ne fut pas leur stupeur quand des concurrents découvrirent que la voiture n’était pas une « 1093 ».

Autre souvenir de 1963 : Nous prenions pension dans un hôtel voisin de la concession Renault qui hébergeait la firme Alpine. Nous y prenions nos repas et le midi, un respectable monsieur (Procureur de son état) partageait quelque fois notre table. Ce vieux célibataire faisait partie du « Club des Pingouins » dont l’activité consistait à se baigner en mer à l’heure de midi toute l’année ; donc hiver comme été. Bernard se laissa convaincre par le Procureur des bienfaits de ce genre de baignade. Il l’accompagna dans une eau à une température légèrement au-dessus de 0 ° tandis que celle de l’air était à -6°. De plus, il récidiva. Quel tempérament ! Ce tempérament ne manquait pas de créer de temps à autre une mésentente avec la direction locale de Dieppe.

Lors des courses sur circuit, nous saluions souvent Jean-Luc Lagardère. Un jour, il nous invita à lui rendre visite dans son bureau du bord de Seine. Il nous reçut donc et nous proposa de nous revoir si par hasard nous abandonnions Dieppe. Je ne donnai pas suite à cette invitation mais Bernard saisit l’occasion et l’on connaît la belle carrière qu’il a poursuivie chez Matra.

Adieu Bernard !

Mon athéisme ne me permet pas de te donner rendez-vous dans l’au-delà…

R. Bouleau

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