Hommage à Marcel Hubert « L’homme aux semelles de vent »

Notre collègue Marcel Hubert, à qui le palmarès et l’image de la marque Alpine doivent tant, s’est éteint le samedi 5 mars à l’hôpital de Dieppe. Il avait 92 ans. Génial aérodynamicien, il a conçu des carrosseries aussi belles qu’efficaces, à la manière d’un sculpteur ou d’un grand couturier, en ayant une application très pragmatique de sa science. Au cours de la vingtaine d’année qu’il a passée chez Alpine, puis chez Renault, il s’est construit un nom qui très vite est devenu une référence dans le milieu du sport automobile.

Sa collaboration avec Jean Rédélé a commencé en 1962, lorsque ce dernier a décidé de créer sa propre voiture pour courir au Mans. Le jeune constructeur dieppois avait alors une idée très claire en tête. Ne disposant que d’un moteur Renault de 1.000cm3 qui, même amélioré par Amédée Gordini, allait développer tout au plus une centaine de chevaux, il ne pouvait prétendre tenir les premiers rôles en tête de la course. Par contre, sur un circuit aussi particulier, comportant une longue ligne droite de près de 6km, une victoire Alpine à l’indice de performance pouvait parfaitement s’envisager, pour peu que l’on traite efficacement l’aérodynamisme de la voiture. Et c’est à Marcel Hubert qu’il a fait appel pour relever le défi…

Cet aérodynamicien autodidacte ne pouvait pas se prévaloir d’un beau diplôme délivré par une Grande Ecole d’Ingénieurs. Il avait démarré son parcours professionnel comme simple dessinateur et sa compétence dans ce domaine si particulier de l’aérodynamisme, il l’avait acquise au fil de son expérience, grâce aux cours du soir dispensés par le Conservatoire des Arts et Métiers et surtout au contact de l’un de ses employeurs, Lucien Romani, qui est devenu son tuteur technique et lui a appris l’essentiel de son métier. Son parcours très diversifié l’avait amené à découvrir de multiples domaines : il avait ainsi exercé au Laboratoire de Mécanique des Fluides du CNRS, dans l’aviation, où il a mené différentes études aérodynamiques pour le compte de grandes firmes telles que la SNECMA ou Dassault, et puis il intégrera le BEST (Bureau d’Etudes Scientifiques et Techniques), dirigé par Lucien Romani. Là il travaillera sur un projet d’éolienne pour EDF, il s’intéressera aussi au décollage rapide des avions à réaction, il participera également à la conception de la SATECMO Eolia sur base de 4CV Renault et il va même plancher sur un système de ventilation des galeries dans les mines de fonds…

Mais ce n’est pas cet étonnant éclectisme qui avait attiré Jean Rédélé vers lui. Marcel Hubert avait en effet aussi collaboré avec un éminent aérodynamicien, Charles Deutsch, pour développer la CD Panhard qui venait de s’illustrer sur la piste mancelle en remportant l’indice de performance et c’est de cette compétence-là dont le patron d’Alpine voulait bénéficier pour lancer son programme Le Mans. Il lui proposa donc d’intégrer l’équipe Alpine en free-lance pour y prendre en charge l’aérodynamisme du projet ainsi que la définition et la réalisation de la carrosserie.

Si les faits s’étaient déroulés aujourd’hui, c’est devant un écran d’ordinateur et à l’aide d’un logiciel de simulation d’essais, qu’un ingénieur aérodynamicien aurait conçu la carrosserie de ce prototype. Et elle aurait eu toute les chances de s’avérer irréprochable dès les premiers tours de roue de l’auto. Mais fin 1962 on était encore très loin d’en être là, et pourtant, grâce à son expérience et à son sens pratique, Marcel a obtenu le même résultat. Aux essais préliminaires du Mans, début avril, l’Alpine M63 tournait cinq secondes plus vite que sa rivale René Bonnet équipée du même moteur. Il est vrai qu’il n’avait pas pris de risque pour habiller l’ensemble mécanique défini par Richard Bouleau et Bernard Boyer : il s’était approché au plus près de la forme aérodynamique idéale de « la goutte d’eau », réussissant au passage à y intégrer un pare-brise de Berlinette, la seule contrainte technique qui lui avait été imposée par Jean Rédélé. C’était là le début d’une longue histoire d’amour avec la firme dieppoise. Elle allait se concrétiser en 1967 par une embauche en bonne et due forme dans l’entreprise et se poursuivre jusqu’en 1978, date à laquelle il passa chez Renault F1 à Viry-Châtillon.

Marcel avait un point commun avec Jean Rédélé, c’est le sens de l’esthétique et très vite ce caractère va se manifester sur toutes ses créations. Ainsi la forme un peu « rondouillarde » de la M63 va très vite s’affiner, sans rien perdre de son efficacité aérodynamique, pour aboutir au modèle A210 qui est considérée encore aujourd’hui comme l’un des plus beaux prototypes conçus sur la base du cahier des charges imposé pour courir au Mans. Et cet objectif restera omniprésent jusqu’à la fin de l’aventure Alpine, puisque le même compliment vaut pour le modèle A442B victorieux aux 24h en 1978.

Marcel se révèlera également précurseur dans le domaine de la monoplace. Ses prédécesseurs tenaient pour acquis que les roues situées à l’extérieur de la caisse anéantissaient tout l’intérêt d’une optimisation aérodynamique de la carrosserie. Or, un beau jour de 1971 les F3 Alpine sont apparues sur les grilles de départ des courses habillées d’un étrange capot arrière qui leur valut aussitôt le surnom de « dinosaure ». Mais surprise, elles se sont aussitôt avérées plus rapides que leurs concurrentes qui ne tardèrent par à s’inspirer de cette trouvaille de l’aérodynamicien maison…

L’heure de la retraite ayant sonné en 1982, il participera encore au développement d’un grand nombre de prototypes très divers et se tournera vers la marque Courage pour laquelle il deviendra l’aérodynamicien bénévole de référence. Dans le même temps, toujours dans le cadre du bénévolat, il se penchera sur un projet de véhicule aérodynamique à très faible consommation pour le lycée de la « Joliverie ». Il réalisera aussi une étude visant à l’amélioration du coefficient de pénétration dans l’air des caravanes de la marque Eriba…

Marcel Hubert était avant tout un homme de terrain et il était présent aussi bien dans les ateliers que sur les circuits, tant pour les séances d’essais de mise au point que lors des épreuves. C’était également un homme de contact. Il échangeait volontiers avec les mécaniciens, les techniciens et les pilotes, ayant à cœur de bien faire comprendre à chacun les motifs des évolutions qu’il entreprenait et d’analyser avec eux les résultats obtenus. Tous appréciaient ses compétences et plusieurs, tel Jean-Pierre Jabouille, se lieront d’ailleurs d’une amitié indéfectible avec lui.

Personnage cultivé, curieux, sensible à la marche du monde et rempli de modestie, Marcel était un collègue de travail particulièrement attachant. Sa bonne humeur et sa chaleur humaine étaient communicatives, ses facéties sont encore dans tous les esprits et il ne prenait jamais mal les blagues que certains lui faisaient en retour. C’était véritablement un bon vivant, dans tous les sens du terme. Il ne cachait pas non plus son militantisme politique de jeunesse et si celui-ci s’était un peu assagi avec l’âge, ses convictions ne l’ont jamais abandonné pour autant.

Tu laisses un grand vide Marcel mais tu peux partir tranquille, au gré du vent, car si l’on se réfère à l’émoi que ta disparition suscite, tu n’as pas à craindre d’être seul ; elles seront nombreuses les pensées d’amis qui iront vers toi.

Nous présentons nos très sincères condoléances à son épouse, ses enfants et ses proches.

Jean Pierre Limondin, Jacques Bornic et Louis Granon

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